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Etat de la médecine de ville : c’est grave Docteur ?

La médecine actuelle nécessite une collaboration étroite entre les différents acteurs de santé. La notion de parcours de soins coordonnés introduite par la loi du 13 août 2004 introduit la notion de médecin traitant (1).  Véritable clé de voûte du parcours de santé, son rôle a été renforcé en 2009 en l’identifiant comme le coordinateur des parcours de soins de ses patients. Le souci que rencontrent aujourd’hui beaucoup de Français, c’est de trouver un médecin généraliste. En 2019, la CNAM estimait que 5,4 millions de patients ne disposaient pas de médecin traitant, alors que plus de la moitié était en recherche active (2).

Médecins généralistes, une denrée rare

Depuis de nombreuses années, la France fait face à 2 problèmes majeurs, la diminution continue du nombre de médecins généralistes et leur répartition hétérogène sur le territoire amenant à créer des « déserts médicaux »[a]

En 2010, on décomptait 94 261 médecins contre 86 102 en 2020. Cette diminution va se poursuivre dans les années à venir, 26 % des médecins ont 60 ans voire plus (3). Par ailleurs ces médecins sont installés de façon très inégale en métropole, 248 et 242 médecins sont installés pour 100 000 habitants dans les Hautes-Alpes et à Paris alors que seulement 94 à 105 médecins pour 100 000 habitants sont présents dans l’Ain, l’Aisne, l’Eure, l’Eure-et-Loir, la Seine et Marne et le Val-d’Oise (4). En considérant les DOM-TOM, la densité de médecins serait la plus faible à Mayotte d’après les derniers chiffres du CNOM, seuls 43 médecins sont décomptés pour 100 000 habitants (3).

L’Observatoire de la santé réalisé par la Mutualité Française met en évidence une extension des déserts médicaux. 7,4 millions de personnes soit 11,1 % de la population vivent dans une commune où l’accès à un médecin généraliste est limité (4). Ce pourcentage ne cesse d’augmenter, il était déjà de 7,6 % en 2012. Ces déserts médicaux sont principalement concentrés dans le centre et le nord-ouest de la France, mais la région parisienne n’est pas épargnée, certaines communes du Val d’Oise et de Seine et Marne sont particulièrement concernées par le sujet.

Les médecins généralistes sont désemparés face à cette réalité, environ 70 % d’entre eux jugent que l’offre de généralistes est insuffisante sur leur territoire et 22 % la jugent très insuffisante (5). Ils ont de plus en plus de mal à répondre aux sollicitations, l’accès aux soins devient de plus en plus difficile puisque 54 % des médecins généralistes sont dans l’obligation d’augmenter leurs délais de prise de rendez-vous et 53 % refusent de nouveaux patients en tant que médecin traitant (5).

Des spécialistes inaccessibles

Les délais d’attente sont aujourd’hui la première cause de renoncement aux soins (6), un sondage réalisé en 2020 en Ile de France a montré que 44 % des Franciliens interrogés ont déjà renoncé à se faire soigner suite à un délai de rendez-vous trop long (7). La DREES a mis en évidence que ces délais sont particulièrement longs chez les spécialistes et restent « raisonnables » chez les généralistes (la moyenne étant de 6 jours dans cette spécialité) (8). Aucune spécialité n’est épargnée et le temps d’attente est encore plus long dans les communes où l’accessibilité géographique aux professionnels de santé est faible. Le record est détenu par l’ophtalmologie où il faut attendre en moyenne 29 jours à Paris, ce délai s’allonge à 71 jours dans les communes hors influence des pôles urbains, et peut monter jusqu’à 76 jours dans les communes des grands pôles ruraux, voire à 97 jours dans les communes des petits et moyens pôles, moins bien dotés en ophtalmologistes. Ce  délai varie du simple au triple selon le lieu de résidence (4 ,8).

Pour parer à cette observation des protocoles de coopération avec des paramédicaux se développent, notamment en ophtalmologie. Depuis 2018, les orthoptistes peuvent participer à la prise en charge de patients suivis par les ophtalmologistes. Cette pratique reste encore marginale, en 2019, seuls 145 000 actes de bilans visuels ont été réalisés par des orthoptistes, sachant que 7 adultes sur 10 portent des lunettes ou des lentilles, mais nous ne sommes qu’aux prémices de cette coopération (4).

Le remède : une médecine coordonnée ?

En plus de cette pénurie généralisée de médecins, il semblerait que l’activité des médecins généralistes ne soit pas adaptée aux nouveaux besoins apparus avec le vieillis­sement de la population et l’augmentation des maladies chroniques. Lorsqu’ils doivent prendre en charge des patients avec des situations médico-sociales complexes, ils éprouvent des difficultés pour trouver les ressources nécessaires pour accompagner ces patients (9). Cet accompagnement nécessite une coordination entre les professionnels de santé libéraux en ville comme les kinésithérapeutes, infirmiers, orthophonistes…, les professionnels du secteur médi­cal spécialisé (spécialistes libéraux, hôpital), mais aussi les professionnels du secteur médico-social et social.

Pour répondre à ce constat, toute une série de mesures a été mise en œuvre afin de décloisonner les soins et les réorganiser au mieux (voir encadré).

  • 1996 : Création des réseaux de soins, pour organiser la prise en charge des patients atteints de pathologies lourdes ou chroniques.
  • 2002 : Définition du rôle et du fonctionnement des réseaux de santé dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
  • 2004 : Introduction des parcours de soins coordonnés
  • 2007 : Introduction des Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP)
  • 2016 : Création des
    • Équipes de Soins Primaires (ESP), regroupement d’un ensemble de professionnels de santé autour d’un médecin généraliste de premier recours ;
    • Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) : regroupement de professionnels de santé
    • Plateformes Territoriales d’Appui (PTA) : soutien pour les professionnels dans l’organisation des parcours de santé complexes.

Les Maisons de Santé Pluriprofessionnelles

Les Maisons de santé pluriprofessionnelles, MSP, ont pour objectif de regrouper au minimum deux médecins généralistes et un professionnel paramédical autour d’un projet de santé rédigé attestant de leur exer­cice coordonné. En 2020, 1617 MSP étaient recensées et 451 en projet (10). Ces structures séduisent les professionnels paramédicaux. 96 % des MSP comptent au moins un infirmier, 72 % intègrent au moins un masseur-kinésithé­rapeute, 56 % un pédicure-podologue, 46 % un orthophoniste (11).

Une récente étude suggère que les MSP accomplissent leur mission : dans les territoires avec une accessibilité aux soins faibles, les MSP attirent de jeunes médecins et donnent un nouvel élan à l’offre de soins (12).

Les Communautés professionnelles de territoire de Santé

Les Communautés professionnelles de territoire se Santé, CPTS, ont pour objectif de regrouper des professionnels de santé d’un même territoire, autour d’un projet médical et médico-social commun. Les CPTS regroupent aussi bien les professionnels de santé (médecins et paramédicaux) en ville, exerçant ou non dans des MSP, que des établissements de santé ou encore des acteurs du secteur médico-social et social.

Aujourd’hui, 639 projets de CPTS sont recensés et 112 sont opérationnelles (projets de santé validés) (13). Leur rôle a été révélé lors de la crise sanitaire où les CPTS ont été très dynamiques. Elles ont mené des actions efficaces pour faciliter l’accès aux soins, mais ont aussi permis d’accélérer des coopérations ville-hôpital (14).

Les Réseaux de Santé

Les Réseaux de Santé sont plus anciens, ils sont inscrits dans la loi depuis 2002 (loi Kouchner). Ils ont pour objectif de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires spécifiques à certaines pathologies (15). Ces réseaux permettent d’assurer une prise en charge adaptée aux besoins de la personne, aussi bien sur le plan de l’éducation à la santé, que sur la prévention, le diagnostic, ou encore les soins. Ces réseaux permettent une meilleure coopération entre les différents professionnels (médecins, paramédicaux, spécialistes, …) et les différentes structures (PMI, hôpitaux, …) qui interviennent autour d’un même patient.

Ces réseaux sont difficilement dénombrables, toutefois en 2011, 716 réseaux étaient financés par le Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS)[1], ils regroupaient environ 2500 professionnels.

En résumé

Avec le vieillissement de la population et le développement des maladies chroniques, la demande de soins ne cesse d’augmenter pendant que l’offre médicale devient de plus en plus complexe. Les médecins, généralistes comme spécialistes, sont répartis de façon hétérogène sur le territoire et deviennent de moins en moins accessibles. Cette inaccessibilité devient critique, de plus en plus de personnes renoncent aux soins.

Notre système de santé n’a plus le choix et doit évoluer vers une médecine plus collaborative avec les professionnels paramédicaux et les professionnels du médico-social ou du social.

Cette réorganisation est délicate à mettre en place, les médecins sont habitués à travailler librement et individuellement. Toutefois, les jeunes médecins ne veulent pas être isolés et sont favorables à travailler dans des structures comme dans les Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP) ou les centres de Santé (CDS). Les CPTS, introduites récemment dans cette nouvelle organisation des soins, ont montré l’importance du travail groupé lors de la crise sanitaire que nous traversons. Ces nouvelles structures collaboratives, MSP, CDS, CPTS… sont très prometteuses et se complètent bien toutefois leur intégration dans le système de santé n’est pas sans difficulté, comme nous le verrons dans notre prochain article…

Sources

[1]  Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie 

[2] Nicolas Revel, directeur général de l’Assurance maladie : « L’accès au médecin traitant me préoccupe » ? PAR CHRISTOPHE GATTUSO – PUBLIÉ LE 09/01/2020

[a] « déserts médicaux » : zones dans lesquelles les habitants ne peuvent en moyenne bénéficier au plus que de 2,5 consultations de médecins généralistes par an, situées principalement en zone rurale et dans la banlieue éloignée de petites villes et des métropoles (définition selon analyse de la DREES).

[3] Atlas de la démographie médicale, Cnom, 2020

[4] Observatoire, Mutualité Française, Octobre 2020, https://placedelasante.mutualite.fr/wp-content/uploads/2020/10/observatoire-mutualite-francaise_2020.pdf

[5] Difficultés et adaptation des médecins généralistes face à l’offre de soins locale, Janvier 2020, DREES https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/er1140.pdf

[6] Nette dégradation de l’accès aux soins en France, Les Echos, mars 2017, https://www.lesechos.fr/2017/03/nette-degradation-de-lacces-aux-soins-en-france-164842

[7] 44% des Franciliens ont déjà renoncé à des soins, 16 Janvier 2020, Le parisien

[8] La moitié des rendez-vous sont obtenus en 2 jours chez le généraliste, en 52 jours chez l’ophtalmologiste, Octobre 2018, DREES, https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-08/er1085-2.pdf

[9]  QUEL AVENIR POUR L’ORGANISATION DES SOINS PRIMAIRES EN FRANCE ?, e-book, Science Po, Chaire de Santé, 2018, https://www.sciencespo.fr/chaire-sante/sites/sciencespo.fr.chaire-sante/files/Ebook-seminaire-Soinsprimaires-2019_1.pdf

[10] Les maisons de santé, https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/structures-de-soins/article/les-maisons-de-sante-300889, DGOS chiffres du 30/06/2020

[11] La qualité du système de santé et maîtriser les dépenses, Propositions de l’Assurance Maladie pour 2021

[12] Guillaume Chevillard, Julien Mousquès (Irdes), Questions d’économie de la santé n°247, Mars 2020,  « Les maisons de santé attirent-elles les jeunes médecins généralistes dans les zones sous-dotées en offre de soins? »

[13] Chiffres issus du site de la fédération des CPTS, consulté le 06APR2021, https://www.fcpts.org/cartographies/cartographie-des-cpts/

[14] M.Joy Raynaud et M.Stéphane Le Bouler,  Concourspluripro, 10 mars 2021, « MSP et CPTS, des organisations efficaces pour l’accès aux soins ? »

[15] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

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